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Bio & Lo, la fontaine à yaourt qui cache un contrat équitable

En signant un contrat avec la ferme du Valentin dirigée par Guillaume Fichepoil (à g.), Bio & Lo « s’est engagé sur une durée, un volume et un prix rémunérateur », indique Pierre-Marie Brizou (à dr.), responsable amont de la start-up.

Dans une démarche de filière, la start-up Bio & Lo installe des micro-laiteries dans des fermes bio, pour produire des yaourts en vrac dont elle assure la commercialisation. Exemple à la ferme pédagogique du Valentin, dans la Drôme.

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C’est d’abord l’emballage qui les emballe. Ou l’absence d’emballage. « La restauration collective vient vers nous pour la fontaine à yaourt, et la grande distribution pour le conditionnement en poches souples (doypack) de 700 g ; après seulement ils s’intéressent à l’amont de notre démarche », observe Pierre-Marie Brizou, responsable amont chez Bio & Lo. Cette start-up, incubée par Danone mais qui s’en est totalement émancipée depuis deux ans, a imaginé toute une filière bio, équitable et locale autour de la fabrication de yaourt fermier. La promesse de réduire l’impact environnemental des emballages n’en est qu’une facette.

Des fondateurs, anciens de chez Danone

Pour les deux cofondateurs, Jean-Guillaume Isenbart et Christophe Audouin, anciens de chez Danone, l’objectif était de « ramener à la ferme le meilleur de l’industrie ». La micro-laiterie qu’ils ont mise au point est modulable, évolutive et condensée pour occuper le moins d’espace possible. Visant la productivité maximale pour une pénibilité minimale, elle permet à un ETP (équivalent temps plein) de transformer 100 000 l en yaourt. Et chez Bio & Lo (pour « bio et local »), la « frugalité » est une valeur : « On ajoute de la technologie là où elle supprime de la pénibilité, mais on s’en passe là où c’est possible afin de faire des économies », traduit Pierre-Marie Brizou.

Avant la démarche bio, locale et équitable, c’est d’abord le conditionnement qui séduit les clients. La fontaine à yaourt promet une réduction de 90 % du poids de plastique par rapport à des pots individuels de 100 g. Elle est destinée à la restauration collective (hôtels par exemple). (© B.Lafeuille)

La ferme du lycée agricole du Valentin, à Bourg-lès-Valence (Drôme), a été la première à signer avec Bio & Lo en 2023. Son directeur, Guillaume Fichepoil, y a vu le moyen de résoudre une équation compliquée. La ferme bio de 65 ha (dont 5 ha de fruits) repose majoritairement sur l’atelier laitier de 50 montbéliardes à 6800-7 000 l, autonome en fourrages et concentrés. Elle doit générer assez de revenus pour payer intégralement ses charges (dont les 6,5 ETP salariés) et réinvestir autour de 40 000 €/an dans l’outil pour maintenir ses équipements à jour. « Encerclée par la ville, elle ne pourra pas s’agrandir, donc le maintien d’une activité laitière économiquement viable dépend d’une bonne valorisation, analyse Guillaume Fichepoil. Cela passe en partie par la vente directe : nous vendons 20 000 l/an de lait cru au magasin de la ferme. Mais nous ne pouvons pas en faire plus car la DLC [date limite de consommation] est de trois jours. Pour valoriser les 310 000 l de lait restants, il faut une transformation qui allonge leur durée de vie. »

Voulant conserver la vente directe de lait cru et la livraison d’une partie du litrage à Biolait, la décision a été prise de transformer 100 000 l. En fromage ou yaourt ? Cet employeur n’a pas hésité longtemps. « Il me paraissait plus compliqué de faire des fromages que des yaourts, tant du point de vue sanitaire que du savoir-faire, expose-t-il. Vu les difficultés à recruter et garder des salariés qualifiés, j’ai opté pour le process sur lequel il me semblait le plus facile d’interchanger les personnes. » Restait le défi logistique et commercial que représenterait l’écoulement de 800 000 pots de yaourt par an. C’est là que la start-up Bio & Lo, découverte lors d’un salon, a apporté sa solution. « Nous avons été séduits par le produit fini et le packaging qui répondent à des enjeux environnementaux et sociétaux, confie Guillaume Fichepoil. Le vrac, les économies d’énergie sont des valeurs que nous voulions intégrer à notre projet. Et il y avait la possibilité d’être accompagné dans la mise en route et soulagés de la partie commerciale. Enfin, la rencontre avec les cofondateurs nous a rassurés sur leur volonté de créer un partenariat durable avec nous. »

Maintenir les éleveurs sur les territoires

Car tel est bien l’objectif premier affiché par l’entreprise : « Maintenir des éleveurs sur le territoire en leur permettant d’améliorer leur revenu par la transformation fermière, insiste Pierre-Marie Brizou. Le deuxième objectif est d’offrir une alternative au pot plastique à usage unique grâce à des conditionnements innovants. » Bio et local, le yaourt en doypack de 700 g promet aussi une réduction du poids de plastique de 60 % par rapport à des pots de 100 g, tandis que la fontaine à yaourt ferait économiser 90 % de plastique. En évitant tout contact avec l’air, ces poches permettent par ailleurs d’allonger la DLC : un argument de poids pour certains marchés.

Le doypack de 700 g, en monomatériau entièrement recyclable, promet de réduire de 60 % le poids de plastique par rapport à des pots individuels. Il est destiné à la GMS. (© B.Lafeuille)
(© B.Lafeuille)

En plus d’installer l’équipement, Bio & Lo accompagne les éleveurs depuis la conception du projet jusqu’à la vente de tout ou partie des produits. La ferme du Valentin a choisi de conserver 20 tonnes de yaourts à vendre en direct. Un contrat de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, prévoit l’achat par Bio & Lo de 60 t de yaourts en 2023, puis 80 t en 2024 et 2025. « Ce contrat équitable, certifié par Agri-éthique, nous engage sur une durée, un volume et des prix rémunérateurs, détaille Pierre-Marie Brizou. Des clauses de revoyure sont prévues selon l’évolution des prix de l’énergie, par exemple. Et la prise de risque est partagée entre l’agriculteur et l’entreprise. » En cas de non-respect des volumes achetés, un système de pénalité s’applique à Bio & Lo, garantissant à l’éleveur qu’il pourra au moins couvrir l’amortissement de l’outil. « La pression commerciale est sur eux : cela nous sécurise car nous savons que nous paierons au moins nos charges », apprécie Guillaume Fichepoil.

Le contrat doit porter sur un volume minimal de 40 t. « Nous augmentons nos prix d’achat par palier de 10 tonnes, car plus il y a de volume, plus vite on amortit l’investissement », précise le responsable amont de la start-up. Le prix d’achat du yaourt est calculé de façon à couvrir un prix du lait rémunérateur (basé sur le coût de revient du lait bio calculé par l’Idele pour un revenu égal à deux Smic), auquel s’ajoutent les charges fixes et opérationnelles liées à la transformation. Pour sa première année, la ferme du lycée a vendu ses 60 t de yaourts à un prix permettant de rémunérer le lait entre 600 et 650 €/t.

La micro-laiterie offre un condensé du savoir-faire industriel à installer à la ferme. La ferme du Valentin est propriétaire de tout l’équipement. Elle transforme son lait et vend le produit fini à Bio & Lo qui en assure la commercialisation. (© B.Lafeuille)

Un investissement de 300 000 €

La micro-laiterie occupe 16 m de long par 2 m de large, sur 2,5 m de hauteur. « On pourrait doubler la capacité de production dans ce même espace », assure Pierre-Marie Brizou. Installée dans un bâtiment partagé avec un atelier de transformation fruitière, la machinerie a coûté un peu plus de 300 000 €. « L’investissement dépend du contexte de la ferme : s’il n’y a pas de bâtiment préexistant, le total peut tourner autour de 450 000 €, évalue Pierre-Marie Brizou. Nous nous impliquons avec les éleveurs dans la recherche de subventions : Feader [Fonds européen agricole pour le développement rural], Fonds avenir bio, etc. Nous proposons aussi de louer l’outil. Différents montages financiers sont possibles pour permettre à l’éleveur d’en devenir propriétaire au bout d’un temps donné. »

Le processus de fabrication est optimisé pour alléger le temps de travail. « La pasteurisation du lait est lancée par le vacher sur son ordinateur le matin, détaille Guillaume Fichepoil. L’opérateur arrive après. Il a besoin d’être là pendant une heure le matin pour transférer le lait d’une cuve à l’autre, puis il revient à 13 h 30 pour démarrer le conditionnement. À 16 h 30 ou 17 heures, c’est fini : il n’y a plus qu’à nettoyer. » Les horaires sont ainsi relativement attractifs pour un salarié, qui peut assez facilement être remplacé. Tout au plus faut-il se familiariser avec le matériel.

Trois types d’emballage sont prévus : le doypack de 700 g pour la GMS, et les grandes poches de 3 ou 5 kg pour les fontaines à yaourt destinées à la restauration collective. (© B.Lafeuille)

Tout a été simplifié autant qu’il est possible. Avec une gamme très resserrée autour de deux recettes (nature et vanille) et trois types d’emballage, les stocks sont très faciles à gérer et prennent peu de place. « Et comme on entre un litre de lait entier pour sortir un kilo de yaourt entier, il n’y a ni perte de valeur ni coproduit à écouler », souligne Pierre-Marie Brizou. « L’accompagnement de Bio & Lo nous a permis d’être rapidement en mesure de fabriquer des produits de qualité, reprend Guillaume Fichepoil. Nous avons démarré avec 1 500 l par mois. À la rentrée 2024, nous étions à 10 000 l par mois. Et nous avons été tout de suite capables de vendre notre production, sans perdre de temps à prospecter et à développer progressivement nos marchés. » La force commerciale et logistique est mutualisée entre les différentes fermes partenaires de Bio & Lo, qui est en capacité d’aller chercher de grands comptes. Ainsi le groupe hôtelier Accor a été l’un de leurs premiers clients. Une association regroupant les fermes partenaires, présidée par Guillaume Fichepoil, a été constituée afin de favoriser les partages d’expérience et d’élaborer une « boîte à outils » pour les producteurs qui rejoindront cette nouvelle filière. Deux exploitations étaient équipées en novembre 2024 et une troisième devait recevoir sa micro-laiterie en fin d’année. Enfin, la charge administrative ne repose pas sur les agriculteurs. « Nous recevons chaque jeudi la commande pour la semaine suivante, puis Bio & Lo se charge d’organiser le transport et la livraison, résume Guillaume Fichepoil. Nous envoyons simplement une facture à la fin du mois. »

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